Posted on février 29, 2016 by Phil Tanis
Les ruines de la Grande Église d’Emden, magnifique construction gothique qui fut en large partie détruite par les bombardements des Alliés, pendant la deuxième guerre mondiale, ont été transformées dans les années 90 en une bibliothèque spécialisée axée sur la Théologie et l’Histoire des églises réformées. Au cours des années, la Bibliothèque Johannes a Lasco est devenue un centre culturel réformé bien connu où ont lieu des conférences, des expositions et d’autres manifestations culturelles. C’est en cet endroit remarquable qu’a eu lieu, du 17 au 19 février 2016, une conférence internationale sous le thème « Migration et Agression en Europe » organisée par l’alliance Réformée.
60 participants environ, venus de toutes les parties de l’Europe ressentirent fortement, que la ville d’Emden qui avait été, au 16ième et siècles, un lieu de refuge pour des milliers de Protestants réformés persécutés était un lieu symbolique pour réfléchir sur les problèmes migratoires actuels. Jusqu’à nos jours, la Grande Église porte le titre honoraire de « Moederkerk » (église mère) pour avoir sauvé la vie des communautés réformées néerlandaises menacées d’extinction au 17ième siècle.
La conférence commença par une analyse de la situation politique qui a déclenché un mouvement migratoire sans précédent à partir du Moyen-Orient vers l’Europe occidentale. Dans sa présentation initiale le journaliste allemand, Andreas Zumach, prédit pour les deux ou trois prochaines années un flux continuel de réfugiés en provenance de Syrie et de la région. Le manque de stabilité politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord serait la cause d’une migration accrue dans le long terme. Il souligna le fait, que la communauté internationale avait complètement manqué de soutenir le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés face au plus grand défi qu’il ait connu, depuis sa fondation au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Plusieurs intervenants soulignèrent le fait que Jean Calvin avait été particulièrement sensible à la situation des réfugiés puisque lui-même ainsi que des milliers de Protestants français avaient fui les persécutions et vivaient en exil. Ceci eut beaucoup d’influence sur la théologie réformée et contribua, selon le Néerlandais Herman Selderhuis, à la création « d’un modèle d’église adapté à la migration, transportable et facilement exportable. »
Le secrétaire général de l’Alliance réformée d’Allemagne, Achim Detmers s’appuyant sur les commentaires de Calvin sur le livre de l’Exode (1563) développa une « Théologie migratoire de Calvin » montrant que le réformateur comparait la souffrance des Hébreux en Egypte avec le sort de ses coreligionnaires en France et prenait clairement position par rapport à des sujets tels que l’aide envers les réfugiés nécessiteux, la résistance contre la tyrannie et la désobéissance civile.
Se fondant sur la prédication de Calvin sur la lettre aux Galates 6, 9-11, le théologien Robert Vosloo d’Afrique du Sud (Université de Stellenbosch) expliqua le concept de « reconnaissance » selon lequel « nous reconnaissons notre propre humanité dans l’autre, dans la personne qui est pauvre et méprisée, dans l’étranger. »
Les études bibliques présentèrent un autre accès au sujet, telle l’étude de Job 1,15 (« Et je me suis échappé moi seul, pour t’en apporter la nouvelle. », où Sabine Dressler souligna l’importance de l’écoute des récits de survivants notant, qu’il fallait offrir un espace et un auditoire à ceux qui ont vécu des expériences traumatisantes. Gusztav Bölcskei de Debrecen en Hongrie rappela aux participants le rôle central des Psaumes dans la spiritualité et la liturgie réformée, indiquant qu’ils ont toujours été la source de réconfort par excellence pour tous ceux qui sont opprimés et persécutés.
Dans son discours le professeur Herman Selderhuis mit l’accent sur le rôle essentiel que joue dans l’Ancien Testament la protection de l’étranger. « Le fait que la théologie réformée tienne en si haute estime l’Ancien Testament l’aide à faire face théologiquement aux défis que présente la migration, » dit le théologien néerlandais qui fit remarquer, que dans le livre du Deutéronome et dans les Psaumes « l’étranger » est souvent nommé ensemble avec l’orphelin et la veuve comme étant sous la protection particulière de Dieu. Au-delà de ces remarques, il évoqua la dimension eschatologique de ce sujet, vu que selon la foi chrétienne « le monde n’est pas notre patrie et nous sommes une troupe itinérante à la suite de Jésus. »
Susanne Lachenicht, professeur d’histoire de l’église avec son exposé sur « La Théologie réformée française et l’identité huguenote dans le Refuge » montra en particulier à quel point les réfugiés français malgré le bon accueil dans certains pays durent faire face ailleurs à des préjugés et au phénomène de rejet xénophobe.
Paolo Nasio, professeur à l’université de Rome, parla « d’anciennes et nouvelles dynamiques d’immigration et d’intégration ». Après une description de divers modèles d’intégration qui, à son avis, ont tous échoués, tels que le modèle du « melting-pot » aux États- Unis, de l’assimilation en France, du multiculturalisme en Grande Bretagne et de l’orientation vers l’emploi en Italie, Paolo Naso parlant pour la Fédération des Eglises Protestantes d’Italie se déclara en faveur d’un nouveau modèle d’intégration fondé sur la mutualité et qui tiendrait compte de l’importance accrue de la dimension religieuse.
Martina Wasserloos-Strunk présenta un exposé sur la signification de « l’étrangeté » et de « l’altérité » fondé sur les théories de sociologues tels que Georg Simmel et Max Weber ainsi que sur ses propres études empiriques.
La conférence se termina par une table-ronde à laquelle participèrent Martin Dutzmann le représentant des Églises Protestantes d’Allemagne (EKD) auprès du gouvernement et des institutions européennes, Doris Peschke pour Churches’ Commission for Migrants in Europe (CCME), Günter Krings, député au parlement fédéral allemand, Paolo Naso de la Fédération des Eglises Protestantes d’Italie et Robert Vosloo, professeur de théologie à la faculté de Stellenbosch en Afrique du Sud.
Un temps fort de cette rencontre internationale fut la traditionnelle invitation au thé à l’Hotel de ville d’Emden. La bourgmestre Andrea Risius, dans ses mots de bienvenue, expliqua que le port d’Emden devait sa richesse et son influence au 17ième siècle aux milliers de réfugiés réformés. Emden, à cette époque, avait plus de navires que la flotte britannique et importait en Frise occidentale des denrées du monde entier, en autre le fameux thé. « Pendant ces derniers mois notre ville a accueilli des centaines de réfugiés, » dit Mme Risius. « En ceci nous demeurons fidèles à notre tradition, mais aussi en offrant à nos visiteurs une tasse de notre thé frison avec un nuage de crème et un Kluntje (morceau de sucre candi).
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